Le mange-son ...

 

       Le labyrinthe semblait immense … Où peut-être était ce simplement parce que le parc était de petites dimensions … Au centre de ce parc, après un porche de vieilles pierres, le labyrinthe surprenait tellement ! Il ondoyait entre d’énormes érables, se faufilait derrière la fontaine, disparaissait à l’angle des bâtiments d’exposition. Son matériau de construction était indéfinissable, oscillant entre le bois, le plastique ou peut-être de la fibre de verre … Son éclat illuminait lorsque le soleil se glissait le long de ses couloirs opaques.
      L’enfant restait interdit et n’osait s’avancer … Planté devant ce qui semblait être une ouverture (était ce vraiment l’entrée ?...), du regard il tentait de sonder l’intérieur … Je lui donnai 7 ou 8 ans et de lui je ne voyais que ses cheveux blonds et bouclés au-dessus d’un corps fluet perdu dans un jean délavé. En m’approchant, je remarquai alors l’affichette qu’il était en train de déchiffrer et, curieux, m’approchai à mon tour … Sur un simple carton bis la mention :

   Ici, point besoin de bavardages » était inscrite au feutre rouge et, un peu plus bas : -« Entrez et faites une cure … »

était ajouté au milieu d’éclats de rire dessinés de la même couleur …
Sentant ma présence, l’enfant se tourna vers moi … C’est alors que je découvris un ravissant petit visage enserré entre deux oreilles pointues et d’une taille anormale ; il avait tout d’un charmant lutin sorti d’un conte de fées … Cachant ma surprise, je lui souris :
-«  Tu hésites à entrer n’est-ce-pas ? Veux-tu que je t’accompagne ? Nous pourrions le découvrir ensemble … »

Son visage s’éclaira et je ne vis plus que son lumineux sourire …
Déjà, il s’avançait en conquérant et en quelques secondes, l’un derrière l’autre, nous arrivions au bout d’un premier couloir.
-«  Ne vas pas trop vite, nous devons nous repérer pour ne pas nous perdre … » commençais je …
Curieusement aucun son ne sortit de ma bouche … mes lèvres s’agitaient au gré des mots et l’enfant continuait sa route, il ne m’entendait pas !
Etonné, je repris :

-« Attends moi … »
Le deuxième essai étant aussi infructueux je restai éberlué et attrapai l’enfant par l’épaule. Celui-ci se retourna et je devinai à mon tour la question qu’il me posa mais qui resta tout aussi inaudible …
A ce moment, dans ce 1° virage, bien en vue sur la paroi, une seconde étiquette nous annonçait : 

 
-«  Vous n’êtes qu’au début de votre cure … les effets de voix sont inutiles … ne vous fatiguez pas !... » 


      Interloqué, heureusement j’aperçus l’ombre d’un visiteur un peu plus loin et prenant l’enfant par la main, nous nous avançâmes pour échanger quelques mots avec lui sur cette situation inattendue … situation qui n’avança pas d’un pouce : plus nous approchions de cette ombre noire, plus l’ombre reculait en s’épaississant … mais l’ombre de qui ?... Mystère !... Notre seule explication fût une 3° petite pancarte écrite en rouge, qui semblait faire partie de l’ombre mouvante et sur laquelle nous déchiffrâmes :


-«  Ni question, ni réponse … N’insistez pas ! Chut !... »


       Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? A nouveau, j’essayai de parler faisant appel à mes cordes vocales tout-à-fait muettes une fois encore !

       D’un signe, j’interpellais l’enfant et lui fit comprendre par gestes qu’il valait mieux revenir en arrière pour avoir un peu de documentation écrite, ce qui nous faciliterait une nouvelle visite. Nous étions au début du parcours et cette solution paraissait la bonne. En quelques minutes nous étions revenus à la case départ … pour nous rendre compte qu’une forte averse avait inondé une partie de l’entrée. D’ailleurs au même moment un homme vêtu de noir se précipitait sous l’auvent pour essayer de se protéger de cet orage imprévu :
-«  Je vais en profiter pour essayer ce labyrinthe car la pluie menace encore … venez donc avec moi ce sera plus amusant ! « 
Mais l’enfant aux grandes oreilles s’exclama :
-«  Tu sais, à l’intérieur le son n’existe pas, on ne peut pas discuter, on ne s’entend pas ! »
L’homme éclata de rire :
-«  Ta ta ta, c’est ce que tu crois mais à moi on ne la fait pas ! Je ne vois pas ce qui pourrait m’empêcher de t’entendre …

-«  Je t’assure, d’ailleurs il y a même des ombres dans les couloirs qui interdisent d’insister … ça ne marche vraiment pas ! 
-«  C’est ridicule ! … De toutes façons, que veux tu qu’il nous arrive ?... Allez, venez, nous allons bien trouver la solution de cette énigme … »
Dubitatifs, nous suivîmes l’homme … On peut toujours faire un nouveau test pour essayer de comprendre, me dis-je, d’autant plus que j’avais eu le temps de remarquer qu’aucun renseignement supplémentaire n’était prévu à l’entrée de ce fichu labyrinthe … On peut, mais la situation paraissait trop étrange pour être réglée par un troisième larron lesté d’intentions sans doute un peu légères à première vue. Ce serait intéressant de voir comment il pensait s’en sortir !
Comme prévu, notre homme vit ses premières tentatives rester sans succès et, très vite, nous le sentîmes s’énerver … Mais, que faire dans ce dédale lorsque l’on s’énerve ?... Quelle réaction allait il avoir ?... Il n’y avait vraiment pas grand-chose à faire … à part taper dans les cloisons … c’est effectivement ce qu’il fît … et le résultat fût incroyable !
Rapidement, il sembla se rapetisser, se transformer en objet informe, blanchâtre, suspendu en l’air … et, horreur, sans bruit, sans choc, on vit ce qui restait de son corps se plaquer brutalement au sommet de la paroi et y demeurer, immobile, faisant maintenant partie intégrante du labyrinthe !...

Le corps disloqué, sans volume, sans couleur, s’était parfaitement incorporé au matériau et, avec stupeur, je vis se dessiner sur l’emplacement que je ne quittais pas des yeux, ces mots inscrits à l’encre rouge comme du sang :

-«  JE SUIS LE MANGE-SON MAIS JE PEUX AUSSI AVALER LES VISITEURS RECALCITRANTS … RIEN NE LE FORCAIT A ENTRER … UNE CURE EST UNE CURE !... »


... J'étais seul... le lutin s'était évaporé !...





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