Une amitié particulière ...

          Il y a quelque temps déjà je m'étais intéressée à la pensée du corbeau en ce triste jour où il vit dégringoler son camembert dans la gueule ouverte d'un rusé renard tout réjoui !...

          Aujourd'hui, je me suis mise à l'écoute de Silvère ... qui rongea les mailles du filet emprisonnant le roi des animaux, en l'occurrence un lion superbe et rugissant, et voici ce qu'il me confia dans le creux de l'oreille :





            -" T'ai-je jamais entretenu de ce qu'il m'arriva, un jour d'automne assez éloigné déjà, dans la garrigue de mon enfance, alors que je sortais d'une sieste réparatrice après un déjeuner copieux ?...

                -" Non, n'est-ce-pas ? D'abord par discrétion et sans doute parce que je vécus la plus grande peur de ma vie !... Donc, ce jour-là, je faillis passer de vie à trépas ... Comment me diras-tu ?... Et sans doute penses-tu que j'exagère ?... Je sais bien que l'on me trouve un tantinet vantard !... Et, pourtant !...


                    -" Imagine la scène ! L'estomac plein, je dormais du sommeil du juste continuant à serrer entre mes griffes la carcasse d'un campagnol imprudent mais tendre et goûteux !

 -" Ma digestion terminée, j'ouvris un œil alangui sur ce que je pris pour le buisson doré sous lequel je m'étais allongé ... Tu le sais, j'ai la vue basse et il me fallut quelques secondes pour déterminer avec certitude que le buisson possédait une gueule énorme décorée de crocs pointus et brillants !... Deux yeux verts et étonnés me fixaient, me jaugeaient et je crus venue ma dernière heure !... J'avais enfin reconnu Gaspard, le lion, pour l'avoir déjà aperçu ...de loin ! Je dus mon salut à la précipitation avec laquelle je m'enfuis sans demander mon reste ... Lui aussi était repu et venait sans doute de terminer un festin ... royal ! Je n'étais qu'un menu fretin qu'il laissa s'échapper en bâillant ! 

 -" Ce n'était pas son genre de laisser s'échapper ainsi la nourriture, même si je n'étais qu'une entrée frugale pour lui et je lui sus gré de m'avoir laissé la vie !... D'accord, il n'avait pas faim, mais quand même ... quand je revois ses crocs, j'en tremble encore !...

-" Il n'était pas alors dans mes intentions de le remercier de sa condescendance à mon égard, j'avais trop peur de regrets tardifs !... Cependant, au printemps suivant ... c'était comme aujourd'hui, une journée magnifique ... me promenant dans la forêt avoisinante à la recherche de quelque mulot étourdi pour en faire mon ordinaire, mes oreilles se dressèrent d'effroi en entendant des rugissements effrénés sortir des sous-bois ...


                             -" Il fallait voir les oiseaux s'envoler à tire d'aile et détaler mes congénères !... C'était impressionnant : les hérissons se camouflaient dans les terriers et les lièvres fuyaient comme des flèches ... Je m'apprêtais à suivre le mouvement lorsqu'un doute me saisit :


 -" Et si le S.O.S. était de Gaspard ?...

-" Nul doute possible, le lion était prisonnier car les rugissements venaient d'un seul endroit et je savais que des filets étaient tendus par des chasseurs malveillants !... Je ne craignais donc rien en allant voir de plus près et décidai d'aller reconnaître le détenu ...

-" Très vite, grâce aux cris, je situai le piège et reconnus tout de suite Gaspard bavant et rugissant avec acharnement ... Il était dans une colère folle, empêtré dans les rets que j'avais imaginés ! Son énorme tête dépassait à peine du trou dans lequel il était tombé et le filet l'entravait complètement ! 


-" Rapidement, je sentis que je pouvais à mon tour le tirer de ce mauvais pas car il devait suffire de déchirer le filet et j'avais de bonnes dents !... Il m'avait repéré et s'était tu !... Le regardant droit dans les yeux, vaillamment je lui sautai sur le dos et entrepris aussitôt le grignotage des ficelles enchevêtrées ... La surprise le fît se tenir coi et mes canines aiguisées firent le reste ...

-" Quand enfin il put se dégager de son carcan et s'élancer par la brèche que je venais de préparer, Gaspard rugit de contentement ... D'un bond, il atteignit la terre ferme, mais avant de disparaître dans la nature, il prit le temps de me jeter un regard ému et attendri, qui en disait long ! Devrais-je vivre mille ans, parole de grignoteur, je m'en souviendrai !...


-" Depuis, parfois nous nous rencontrons sur des chemins de hasard et nous nous regardons intensément !... Nous n'avons pas besoin de mots pour nous comprendre et je sais qu'il apprécie beaucoup mon silence sur cette anecdote ... Pense à son orgueil si elle s'ébruitait !...Aujourd'hui il y a péremption et, surtout, je suis tellement heureux et fier d'être son ami !"




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