Je
descends dans une combe pour atteindre un bosquet de pins que je vois
dépasser. C’est raide, très épais. Personne ne doit s’aventurer
par ici pour trois champignons. Je m’accroche aux branches de
chênes verts. Tout d’un coup mon pied glisse sur un morceau de
bois visqueux et je pars comme une savonnette. J’ai l’impression
que je tombe pendant mille ans. Quand je m’arrête… quand la
broussaille m’arrête, je suis au fond d’un petit ravin. Je n’ai
pas eu le temps d’avoir peur. Je n’ai pas celui de me relever.
Une mallette en cuir noir, flambant neuve, est là, à 30 cm
de ma main. Et mes tripes
savent déjà que cette mallette va changer ma vie…
Assis
sur la mousse humide, je reste sans réaction mais mon cerveau éclate
de « pourquoi » et de « comment » !…
Cette petite valise je la connais… La semaine dernière, sur la
demande de mon fils, Bastien, nous sommes allés l’acheter en
ville, soi-disant pour y ranger sa collection de documents sur les
voitures anciennes ! Que fait-elle ici ?… Je suis bien
sûr de ne pas me tromper,
car je repère la petite
fermeture dorée en forme d’étoile… Le vendeur n’en avait
qu’une avec cette particularité !
Une
question me taraude : Qu’est-ce que mon fils est venu faire
ici ?… Nous sommes à 2 km de la maison et l’on ne peut
accéder à cet endroit qu’en traversant la forêt… Ce n’est
pas dans ses habitudes de venir prendre l’air par ici, j’en suis
certain !
Un peu
revenu de ma surprise j’étends le bras et la saisis sans
difficulté. Machinalement je la tourne, la retourne, cherchant une
réponse qui m’échappe complètement ! Sans plus réfléchir
j’essaie de soulever le couvercle qui résiste et je m’aperçois
que la valise est verrouillée !
Soudain mes
mains tremblent, l’inquiétude me gagne car en la manipulant c’est
le choc d’un objet assez lourd qui résonne sur les parois… pas
du tout le bruit sourd que ferait un lot de papiers serrés à
l’intérieur !
Mon
esprit travaille de plus en plus rapidement : cette valise a
été jetée ici intentionnellement… Bastien voulait s’en
débarrasser… ou voulait-il se défaire d’un objet
compromettant ?…
Ce matin
mon fils est parti très tôt pour le lycée en me lançant sur le
pas de la porte :
– »
T’inquiètes pas P’a, je déjeune chez un copain…
à ce soir » !
Bastien a
17 ans et traverse une crise d’indépendance qui me déroute un
peu… Ce n’est pas la 1° fois qu’il ne rentre pas déjeuner
mais, à ce moment précis, je me dis que ce n’est pas normal…
Pour rien au monde il ne manquerait l’entraînement de foot et je
sais que son sac de sport est resté dans l’entrée… je l’ai
remarqué en sortant tout à l’heure…
Je
m’enfonce de plus dans une terreur qui ne fait que croître… Je
repose la valise… délicatement… puis je la reprends… il va
bien falloir que je sache ce qu’elle contient… Des idées toutes
plus sombres les unes que les autres se bousculent en moi et j’ai
peur… peur de ce que je risque de découvrir !…
Dans
un rapide examen de conscience je me demande si j’ai été
suffisamment à l’écoute de mon fils depuis que sa mère est
décédée il y a déjà 4 ans !… 4 ans que nous vivons tous
les deux en essayant d’oublier ce terrible accident de la route qui
nous l’a enlevée !… C’est certain sa mère lui manque
beaucoup ! Est-ce que, sans que je m’en aperçoive, il
tournerait mal ?… Est-ce que ses copains n’ont pas une
mauvaise influence sur lui ?… À
cet âge on est tellement malléable !… C’est vrai il rentre
de plus en plus tard le soir et je ne sais pas toujours quelle en est
la raison !
À
l’aide de mon Laguiole j’essaie d’ouvrir la valise… il faut
que je sache ce qu’elle renferme… pourtant la serrure tient bon !
Mes efforts ne servent qu’à la tordre dans tous les sens… Alors
de rage je perce, je tranche, je découpe, je vais y arriver… j’y
arrive !
En
tremblant je soulève le couvercle qui vient de céder et, les yeux
exorbités, découvre enfin un objet qui me fait sursauter d’effroi !
Je ne
m’étais pas trompé… mes doutes se matérialisent… qu’est-ce
que tout cela signifie ?
Là, au
fond de la valise, gît un grand couteau de cuisine : mon
couteau de cuisine à la lame bien tranchante… celui qu’il ne
touche jamais de peur de se couper… il est si maladroit !
La
situation est rocambolesque… Je me sens affolé, perdu… Allons,
il me faut réagir… D’un bond je me relève : ma chute a été
sans conséquence… juste quelques bleus sans doute… à mes pieds,
lacéré en plein milieu, mon sac en plastique blanc recouvre en
partie ma cueillette de sanguins… Je le regarde l’air absent et
l’oublie… Serrant contre moi la petite mallette j’entreprends
de remonter le sentier glissant que je viens d’emprunter en vol
plané !… Heureusement la peur me donne des ailes et j’arrive
au bosquet de pins en quelques minutes !
Le
dos appuyé au chêne le plus proche j’essaie de me calmer :
mon cœur
bat moins fort… je vais continuer de marcher plus posément pour
atteindre la crête et quitter les sous-bois. Bastien est peut-être
rentré… Il va me donner une explication plausible et tout va
redevenir comme avant… J’arpente le chemin de terre un peu
rasséréné : je me suis emballé trop vite… Allons je dois
me détendre !…
Pourtant ce
couteau ?… L’angoisse revient de plus belle… je hâte le
pas… vite, il faut que je sache !… Déjà j’aperçois les
peupliers… la maison… je la scrute : la porte est ouverte
alors mon fils est rentré, il va pouvoir me donner des
éclaircissements !
C’est
à ce moment précis qu’un bourdonnement me surprend… un
bourdonnement de plus en plus net… Étonné,
mon attention faiblit, une branche invisible me fait basculer… Je
lâche la valise, tend les bras pour la rattraper et me sens soudain
ficelé, aveuglé, je crie, j’étouffe… j’entends :
- »
Ben alors, qu’est-ce qui t’arrive ?… On n’a pas idée de
s’entortiller comme ça dans sa couette !… J’allais partir
au foot quand tu t’es mis à crier… tu dormais si profondément
que tu ne m’as même pas entendu t’appeler… pas plus d’ailleurs
que les rappeurs que j’écoutais sur ta vieille chaîne Hi-fi…
Bon, d’accord, j’avais pas mis fort parce que d’habitude
t’aimes pas trop !… Allez bye, à ce soir… Au fait tu sais
la valise elle est super pour ma collection… Tu devais pas me
chercher tes docs sur les vieilles Citroën ?…
penses-y quand même si tu te sens mieux… »
Bastien
est parti !
Abasourdi,
sans voix, j’éprouve un immense soulagement, une libération de
tout mon être… un fou-rire me submerge, m’envahit… en sueur,
mais si heureux de quitter ce cauchemar, c’est la tête dans les
étoiles que je sors de ma sieste occasionnelle en me disant que
décidément une laryngite n’a jamais empêché personne de
marcher… c’est sûr, demain j’irai aux champignons !
Que d'imagination, ma sœur... et il y a du suspens !
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