Essaimage de mai

Acrylique




                          La forêt était perplexe…
   Le printemps venait de s’installer… Il avait pris possession du ciel en repoussant nuages et grisaille vers d’autres lendemains se réservant juste le privilège de quelques ondées pour parfaire la mise en place du nouvel environnement !… D’un geste sûr, en quelques semaines, il avait étalé toute sa panoplie de verts, des plus tendres et délicats jusqu’aux plus énigmatiques ! Certains paraissaient gris-perle dans le foisonnement des saules, sans doute pour mettre en valeur les sombres tonalités des résineux ! 

Essaimage (détail)

         D’un coup de baguette magique, il avait orchestré le chant timide des ruisseaux pour le faire entrer dans la folie de l’impétueux torrent : Et le ruisseau débordait de bonne humeur et de docilité… Imperturbable, la cascade ne dérogeait pas d’un iota à ses habitudes, suffisamment grandioses il faut le dire, mais elle ne manquait pas d’apprécier cette animation revigorante ! 


         Partout, au centre des feuillus, des roucoulements se faisaient entendre et de nombreuses éclosions ravissaient les arbres centenaires, tandis qu’au sol fourmis et cigales reprenaient leur dialogue interrompu par l'hiver. Lorsque les premiers rayons de soleil embrasaient les sous-bois, l’effervescence était à son comble… Les araignées terminaient leur broderie, sans se tromper dans la finesse de leurs points, pour capturer quelques protéines indispensables à leur survie pendant que les merles moqueurs accompagnaient la chorale des rossignols, nullement influencés par leurs remarques désobligeantes !


Tout paraissait si gai, si vivant au sortir de cette période de froidure chassée par une brise délicieuse qui comptait bien fainéanter en retardant le plus possible le moment où elle redeviendrait une cinglante bise ! 
 
Alors, pour quelles raisons la forêt mettait-elle un bémol à l’entrain général ? Car, il faut bien le dire, elle tirait des plans… elle songeait… : Ce vert était superbe, certes, mais un peu monotone… Elle chuchota donc sa perplexité dans l’oreille attentive de ses voisins de la pinède odorante, qui la connaissaient depuis toujours… Chagrinés, ils répercutèrent son questionnement aux hêtres fiers, aux bouleaux argentés, aux chênes trapus lesquels, indécis, transmirent le message aux buissons épineux, aux roseaux légers, aux herbes folles…

Comme une traînée de poudre, l’information arriva aux oreilles d’une blanche aigrette penchée sur le ruisseau… Interloquée, elle en discuta avec les abeilles qui batifolaient dans le pré voisin… Bien lui en prît, car celles-ci étaient certaines de pouvoir mettre de l'inattendu au centre des ombrages verdoyants et, ce faisant, de requinquer notre forêt soucieuse…

– » Vois-tu, lui dit Bella, une des petites abeilles estafettes, ce qu’il leur faut à ces bois moussus, touffus, mystérieux, c’est simplement de la couleur… Laisse-nous quelques jours et nous allons donner un coup de jeunesse à tout cela… »


       Sitôt dit, et avec l’accord de la reine toujours partante sur de nouveaux projets, un peloton en formation s’installa tout prêt de la tête si pensive laquelle, lasse de calculer, s’était tout bonnement endormie…

       Or, il faut savoir qu’au printemps le sommeil d’une forêt peut durer plusieurs jours voire quelques semaines !… En général elle ouvre un œil aux premières giboulées, lorsque les fouettements de l’averse l’obligent à réagir… C’est ce qui arriva à la nôtre : Dans un sursaut de tout son être, très sensible aux changements climatiques, elle se redressa, se secoua, lissa ses feuilles humides et tendres, allongea ses racines tourmentées dans l’humus aromatique pour les offrir au massage du ruisseau…

 
détail
      C’est alors que son regard s’écarquilla pendant qu’une émotion intempestive la parcourût tout entière… : disséminées dans les ramures, contournant de frêles arbustes, s’insinuant au plus profond des ravins, des incrustations rouges et toniques parcouraient la frondaison… C’était une merveille de les voir se faufiler sous les arbousiers de l’orée du bois, s’attarder au centre des peupliers, s’accrocher aux rameaux pointus des cyprès, pour s’engouffrer enfin derrière les troncs des érables : on aurait dit qu’un lutin malicieux l’avait comprise et lui offrait toute la panoplie flamboyante de sa palette !

      Ravie, notre forêt sécha aussitôt ses larmes de pluie pour accueillir l’éclatant soleil matinal qui faisait rutiler ce décor somptueux ! L’heure n’était pas à se demander comment était arrivé ce prodige, elle était simplement à savoir profiter de cette beauté nouvelle et parfaite qu’elle avait tant espérée !… Gonflée d’une joie débordante et communicative, elle se sentit enfin prête à apprécier ce monde chatoyant dont elle faisait partie, à le soutenir, à l’entraîner vers des délires enthousiastes, à l’aimer tout simplement !

détail

     Dans un froufroutement de satisfaction un essaim de petites abeilles nouvellement arrivé se dit que, décidément, il avait trouvé une place de choix au creux du vieux chêne et continua sa besogne sans, non plus, se poser de questions inutiles… Heureuse la petite Bella estima sa mission accomplie et s’envola vers de nouvelles aventures…


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