La maison était immense : une ferme longue et basse avec un
grenier sous le toit… Nous n’y sommes pas entrés… Depuis
longtemps elle était abandonnée et, sans doute, était-elle devenue
le refuge des alouettes et des araignées ! Les portes étaient
closes et les volets de bois refermés sur les nombreuses fenêtres !
Protégé par l’auvent appuyé au mur blanchi, sous le toit de
tôle, un carrelage clair laissait les herbes folles l’envahir et
quelques fleurs des champs se pressaient au pied de la glycine
touffue !
Devant, séparée par un muret en pierre, une vaste prairie
verdoyante cernait quelques arbres posés çà et là… Derrière,
un hangar ouvert aux quatre vents qui devait servir d’abri au
matériel agricole utilisé à cette époque lointaine ! Une
époque durant laquelle la vie était intense et laborieuse… La vie
était celle de mes parents qui avaient choisi de commencer leur
destinée dans cette région du Bordelais… Pourquoi ?…
Comment avaient-ils décidé d’emménager dans cette imposante
bâtisse si éloignée de leur Bretagne natale ?… Sans doute
une opportunité de travail, sûrement pas par choix !… Nous,
les quatre enfants encore en vie étions curieux de découvrir ce
passé qui nous échappait… Mais, Jeanne nous accompagnait… Elle
nous y avait conduits avec enthousiasme elle qui, tant d’années
auparavant, les avaient aidés chaque jour, elle qui m’avait tenue
par la main pour effectuer mes premiers pas, elle qui ne faisait même
pas partie de notre mémoire puisque plus de soixante ans s’étaient
écoulés depuis !…
Il pleuvait… Il pleuvait à seaux et la nature exubérante
chantait sa joie d’exister… Passé le carrelage, nous
pataugions : Floc, floc, murmuraient nos pieds trempés dans
leurs sandalettes estivales… Toc, toc, répondaient à l’unisson
nos quatre cœurs en éveil !
- » Vous savez, ils travaillaient beaucoup… Toutes les
semaines, votre père allait au marché de Bazas avec la charrette à
cheval remplie des produits de la ferme : œufs, légumes,
fruits, volailles… Quant à votre mère, tout le monde l’aimait,
toujours prête à rendre service malgré un emploi du temps très
minuté … Ce n’était pas rien, deux enfants à élever, une
ferme et les dépendances, la basse-cour, le potager, les conserves,
les confitures … Ils avaient loué un espace assez important et,
pour payer leur quote-part, il fallait le faire fructifier… Moi, je
les secondais… dedans…dehors… c’est sûr je faisais partie de
la famille et, quand ils sont repartis, ce fût un crève-cœur pour
tous… Mais, que voulez-vous, la vie était trop difficile ici, la
maison trop éloignée du bourg pour l’école et puis sans doute le
mal du pays… c’était si loin la Bretagne !
Soudain, ce fût l’éclaircie… la glycine se mît à bruisser,
les quelques fleurs relevèrent la tête, une hirondelle fendît
l’air… Nous étions émus… si émus ! Mais nos pieds
retrouvaient leur assurance, nos yeux brillaient, nos corps se
réchauffaient en côtoyant de si près cette partie de notre
histoire qui se concrétisait… Nous partîmes songeurs mais
souriants, libérés !
En passant devant la vieille herse rouillée envahie par le
feuillage humide, je pensai que là ils avaient été heureux, emplis
de l’espoir et de la fougue de leur jeunesse aimante… Le soleil
revenait sur la maison des souvenirs et dans nos esprits, rassasiés !
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