La chimère du babillard ...

               Le "babillard" ... celui qui parle beaucoup ! Il y a une nuance entre le "bavard" et le "babillard". Toujours d'après Bernard PIVOT :
- le bavard  est abondant sur toutes choses, y compris les plus sérieuses, alors que 
- le babillard aime discourir avec légèreté de sujets frivoles ou amusants ...
                Il me vient à l'esprit que l'on peut être bavard et babillard en Écriture : passer des sujets légers aux plus sérieux ... mais de toutes façons  il est difficile, sur ce terrain, de  "couper le sifflet" à l'un comme à l'autre cela paraît quasiment impossible ...  alors j'en profite ! Aujourd'hui mon imagination m'entraîne sur des sentiers glissants ...


       Je suis partie d'un paragraphe pris dans une lecture qui permettait toutes les possibilités , le voici :

« … Je descends dans une combe pour atteindre un bosquet de pins que je vois dépasser. C’est raide, très épais. Personne ne doit s’aventurer par ici pour trois champignons. Je m’accroche aux branches de chênes verts. Tout d’un coup mon pied glisse sur un morceau de bois visqueux et je pars comme une savonnette. J’ai l’impression que je tombe pendant mille ans. Quand je m’arrête … Quand la broussaille m’arrête, je suis au fond d’un petit ravin. Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur. Je n’ai pas celui de me relever. Une mallette en cuir noir, flambant neuve, est là, à trente centimètres de ma main. Et mes tripes savent déjà que cette mallette va changer ma vie … »



               Assis sur la mousse humide, je reste sans réaction mais mon cerveau éclate de « pourquoi » et de « comment » !... Cette petite valise je la connais … La semaine dernière, sur la demande de mon fils, Bastien, nous sommes allés l’acheter en ville, soi-disant pour y ranger sa collection de documents sur les voitures anciennes ! Que fait-elle ici ?... Je suis bien sûr de ne pas me tromper car je repère la petite fermeture dorée en forme d’étoile … le vendeur n’en avait qu’une avec cette particularité !
               Une question me taraude : Qu’est-ce que mon fils est venu faire ici ?... Nous sommes à deux kms de la maison et l’on ne peut accéder à cet endroit qu’en traversant la forêt … Ce n’est pas dans ses habitudes de venir prendre l’air par ici, j’en suis certain !


               Un peu revenu de ma surprise j’étends le bras et la saisis sans difficulté. Machinalement je la tourne, la retourne cherchant une réponse qui m’échappe complètement ! Sans plus réfléchir j’essaie de soulever le couvercle qui résiste et je m’aperçois que la valise  est verrouillée !
               Soudain mes mains tremblent, l’inquiétude me gagne car en la manipulant c’est le choc d’un objet assez lourd qui résonne sur les parois … pas du tout le bruit sourd que ferait un lot de papiers serrés à l’intérieur !
               Mon esprit travaille de plus en plus rapidement : cette valise a été jetée ici intentionnellement … Bastien voulait s’en débarrasser  … où voulait-il se défaire d’un objet compromettant ?...
               Ce matin mon fils est parti très tôt pour le lycée en me lançant sur le pas de la porte :

-« T’inquiètes pas P'a, je déjeune chez un copain … à ce soir » !

               Bastien a 17 ans et traverse une crise d’indépendance qui me déroute un peu … Ce n’est pas la 1° fois qu’il ne rentre pas déjeuner mais, à ce moment précis, je me dis que ce n’est pas normal … Pour rien au monde il ne manquerait l’entraînement de foot et je sais que son sac de sport est resté dans l’entrée … je l’ai remarqué en sortant tout-à-l’heure …
               Je m’enfonce de plus en plus dans une terreur qui ne fait que croître … Je repose la valise… délicatement… puis je la reprends… il va bien falloir que je sache ce qu’elle contient … Des idées toutes plus sombres les unes que les autres se bousculent en moi et j’ai peur … peur de ce que je risque de découvrir !...


               Dans un rapide examen de conscience je me demande si j’ai été suffisamment à l’écoute de mon fils depuis que sa mère est décédée il y a déjà 4 ans !... 4 ans que nous vivons tous les deux en essayant d’oublier ce terrible accident de la route qui nous l’a enlevée !... C’est certain sa mère lui manque beaucoup ! Est-ce que, sans que je m’en aperçoive, il tournerait mal ?... Est-ce que ses copains n’ont pas une mauvaise influence sur lui ?... A cet âge on est tellement malléable !... C’est vrai il rentre de plus en plus tard le soir et je ne sais pas toujours quelle en est la raison !
               A l’aide  de mon Laguiole  j’essaie d’ouvrir la valise … il faut que je sache ce qu’elle renferme … pourtant la serrure tient bon !  Mes efforts ne servent qu’à la tordre dans tous les sens … Alors de rage, je perce, je tranche, je découpe, je vais y arriver … j’y arrive !
               En tremblant je soulève le couvercle qui vient de céder et, les yeux exorbités, découvre enfin un objet qui me fait sursauter d’effroi !
               Je ne m’étais pas trompé… mes doutes se matérialisent … qu’est-ce que tout cela signifie ? 


               Là, au fond de la valise, gît un grand couteau de cuisine : mon couteau de cuisine à la lame bien tranchante … celui qu’il ne touche jamais de peur de se couper … il est si maladroit !
               La situation est rocambolesque … Je me sens affolé, perdu…
               Allons, il me faut réagir … D’un bond je me relève : ma chute a été sans conséquence … juste quelques bleus sans doute … à mes pieds, lacéré en plein milieu, mon sac en plastique blanc recouvre en partie ma cueillette de sanguins … Je le regarde l’œil absent et l’oublie … Serrant contre moi la petite mallette j’entreprends de remonter le sentier glissant que je viens d’emprunter en vol plané !... Heureusement la peur me donne des ailes et j’arrive au bosquet de pins en quelques minutes !
               Le dos appuyé au chêne le plus proche j’essaie de me calmer : mon cœur bat moins fort … je vais continuer de marcher plus posément pour atteindre la crête et quitter les sous-bois.
               Bastien est peut-être rentré … il va me donner une explication plausible et tout va redevenir comme avant … J’arpente le chemin de terre un peu rasséréné : je me suis emballé trop vite … Allons, je dois me détendre !... 


               Pourtant … ce couteau ?... L’angoisse revient de plus belle … je hâte le pas … vite, il faut que je sache !... Déjà j’aperçois les peupliers … la maison … je la scrute : la porte est ouverte alors mon fils est rentré, il va pouvoir me donner des éclaircissements !

Huile

               C’est à ce moment précis qu’un bourdonnement me surprend … un bourdonnement de plus en plus net … Étonné, mon attention faiblit, une branche invisible me fait basculer … je lâche la valise, tend les bras pour la rattraper et me sens soudain ficelé, aveuglé, je crie, j’étouffe … j’entends :

               « - Ben alors, qu’est-ce qui t’arrive ?... On n’a pas idée de s’entortiller comme cela dans sa couverture !... J’allais partir au foot quand tu t’es mis à crier … tu dormais si profondément que tu ne m’as même pas entendu t’appeler … pas plus d’ailleurs que les rappeurs que j’écoutais sur ta chaîne Hi-fi !... Bon, d’accord, j’avais pas mis fort parce que d’habitude  t’aimes pas trop !... Allez bye, à ce soir … Au fait tu sais la valise elle est super pour ma collection … Tu devais pas me chercher tes doc sur les vieilles Citroën ?... penses-y quand même si tu te sens mieux … » Bastien est parti !



               Abasourdi, sans voix, j’éprouve un immense soulagement, une libération de tout mon être … un  fou-rire me submerge, m’envahit… en sueur mais si heureux de quitter ce cauchemar, c’est la tête dans les étoiles que je sors de ma sieste occasionnelle en me disant que décidément une laryngite n’a jamais empêché personne de marcher … c’est sûr demain, j’irai aux champignons !







              
                                                                                                                   


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