Les terres d'en Haut ...







           Pour ne pas réveiller Marie, François a pris son café brûlant dans la cour de la ferme. La voisine est déjà levée. La vieille apparaît dans l'encadrement de la fenêtre, comme chaque fois qu'elle entend du bruit dans la cour. C'est le seul regret qu'ont eu François et Marie quand ils ont acheté cette ferme : le regard mauvais de cette femme leur glace les os...
           François entre dans la remise. Il empoigne un sac pendu à un crochet et y fourre quelques outils, puis le met sur son dos. Il enfourche son vélo et prend la route de ses champs.
           Depuis quelques jours un curieux message tracé à la bombe commence à se lire sur le bitume craquelé. Chaque nuit de nouveaux mots sont écrits sur la route, faisant suite aux précédents... Cela prend un sens et ce n'est sûrement pas une plaisanterie. Qui peut écrire cela ? François est vaguement inquiet !... Et le texte qui se forme jour après jour évoque ce matin les terres d'en haut celles qu'une poignée d'agriculteurs cultive, dont François !





         Quel était le sens de toute cette histoire ? Les mots tourbillonnaient dans sa tête, car ce n’étaient que des mots, des mots avec des fautes d’orthographe mais dont le sens était très clair :

«  PARTEZLAISSEZ-NOUS TRANQUILLEDANGER et, ce matin, » ELLES SONT A NOUS LES TERRES DAN AU … »


     Le traçage était récent, la peinture blanche miroitait au soleil levant !…



     Il se sentait visé, concerné lui et sa famille ! S’il écartait l’idée de la plaisanterie les raisons de ce harcèlement lui paraissaient obscures ! Était-ce le fait d’un villageois mal intentionné à son égard ? Pourtant les habitants du vieux village ne laissaient percer ni jalousie, ni agressivité envers eux ! Il penchait plutôt pour un acte de méchanceté venant de la vieille ! Elle le mettait mal à l’aise et la plupart du temps, en passant devant sa porte, il évitait de lever les yeux sachant que, déjà, son regard sournois le détaillait, le poursuivait… Il ne respirait vraiment qu’en arrivant sur ses terres, là où il pouvait oublier le climat déplaisant qu’elle engendrait !

-» Allons, se dit-il, chassons les idées noires, j’ai du travail pour le marché de demain » 

 Tout en réfléchissant il était arrivé près du hangar dans lequel il rangeait ses outils encombrants. C’était un vaste bâtiment en pin qu’il partageait avec ses voisins agriculteurs ; il abritait leur tracteur commun et leur était indispensable également pour entreposer les cagettes de légumes fraîchement cueillis lesquels attendaient là le passage de la camionnette du lendemain ! Tous ensemble ils l’avaient remis en état car, datant des années 1960, lorsqu’ils l’avaient récupéré, cet entrepôt était assez vétuste ; ils s’étaient donc unis pour le restaurer du mieux possible et surtout avaient prévu une porte massive qu’ils fermaient à l’aide d’un gros cadenas : sécurité avant tout !



      François avait appuyé son vélo contre la paroi extérieure et, mentalement, se remémorait la liste des légumes qu’il devait prévoir pour le marché bio. Tête baissée il enfilait des grosses bottes caoutchoutées lorsqu’un grincement intempestif lui fit dresser l’oreille :

 » Tiens, se dit-il, Paul arrive tôt lui aussi, nous allons gagner du temps ! »

– » Bonjour Paul », lança François, tout en sortant avec une lourde pelle et un cageot tapissé de papier journal. Aucune réponse… Étonné François fit le tour du terrain d’un regard circulaire mais ne rencontra que l’étendue verte aux sillons allongés sans aucune trace de présence humaine.


 » Tiens… j’avais bien cru pourtant !… »


     C’est alors qu’il se rendit compte de la disparition de sa bicyclette… Comme d’habitude il était sûr de l’avoir déposée au même endroit… Il se passait bien quelque chose d’anormal et, délaissant pelle et cageot, il obliqua sur sa gauche pour arriver derrière le hangar, là où le regard ne pouvait aller… tout près du chemin d’accès !



      Alors il resta interloqué par ce qu’il vît : Là, couché sous son vélo, gisait un garçon malingre, d’une quinzaine d’années, le cheveu hirsute, vêtu d’un jean déchiré, d’un polo délavé, de baskets crasseuses, mais ce que François remarqua immédiatement ce furent ses mains, ses mains couvertes de peinture blanche… Il avait l’air affolé et semblait incapable de bouger… François ne l'avait jamais rencontré auparavant et se dit rapidement qu’il détenait la clé du mystère… Pourtant la raison lui échappait complètement !


- » Que fais-tu ici ?

Le garçon semblait souffrir et baissa la tête sans répondre.

– » Pourquoi tiens-tu tant à nous voir partir ? Qu’est-ce qui te dérange ? Et, d’abord, d’où viens-tu ? »



      L’enfant se mit à trembler et François se rendit compte qu’il paraissait complètement perdu et terrifié…

– » Voyons, explique-toi, es-tu blessé ?
– »… ma jambe » entendit-il dans un souffle.

François se pencha, dégagea le vélo et découvrît une cheville très sensible au toucher…

– » Sans doute une petite entorse, se dit-il !

– » N’aie pas peur, je vais m’occuper de toi, mais tu dois m’expliquer… Où est le problème ? »

      Le jeune garçon se calmait peu à peu et, avec des difficultés d’élocution, expliqua à François attentif :

– » C’est ma terre… C’est à moi… Avant vous mon père cultivait les patates et je l’aidais… maintenant, mon père, mort, mon chien, mort, juste ma mère… elle m’aime pas… alors je me cache… et vous, vous prenez tout »



François comprenait si bien ! Ce gamin était seul et malheureux… Peut-être pouvait-il l’aider ?

– » Quel est ton prénom ? Quel âge as-tu ? »

– » presque 17  On m’appelle Simon…»

– » Tu aimerais travailler avec nous, t’occuper des légumes, nous aider à charger la camionnette  ?
Le visage chiffonné s’éclaircit… Un sourire tremblant se dessina sur les lèvres minces :

– » Oh oui ! »

     Paul venait d’apparaître à l’entrée du champ. Interrogatif, son regard allait de l’enfant à François :

– » Eh bien, Paul, nous avons une recrue… Je t’expliquerai… Aide-moi à transporter ce jeune homme sous le hangar… Nous allons voir cette cheville de plus près… et, dans un clin d’œil à Simon, il reprit :

 » Je te le prêterai mon vélo… après le travail ! Ce soir Marie va être ravie d’avoir un invité ! »




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