Le chant du monde


photo Laurent


       Pendant ce temps de confinement, Giono me tient compagnie... Qui mieux que lui sait décrire le chant de la forêt ?... Cette forêt qui me manque, avec sa beauté et sa diversité, cette forêt qui renaît durant la période printanière, cette forêt qui se fait belle en attendant notre retour, cette forêt que nous ferons tout pour protéger !...


Acrylique


"...Antonio entendit le bruit de la forêt. Ils avaient dépassé le quartier du silence et d'ici on entendait la nuit vivante de la forêt. Ça venait et ça touchait l'oreille comme un doigt froid. C'était un long souffle sourd, un bruit de gorge, un bruit profond, un long chant monotone dans une bouche ouverte. Ça tenait la largeur de toutes les collines couvertes d'arbres. C'était dans le ciel et sur la terre comme la pluie, ça venait de tous les côtés à la fois et lentement ça se balançait comme une lourde vague en ronflant dans le corridor des vallons. Au fond du bruit, de petits crépitements de feuilles couraient avec des pieds de rats. Ça partait, ça fusait d'un côté, puis ça glissait dans les escaliers de branches et on entendait rebondir un petit bruit claquant et doux comme une goutte d'eau à travers un arbre. Des gémissements partaient de terre et montaient lourdement dans la sève des troncs jusqu'à l'écartement des grosses branches."    page 13

... et le chant de la VIE ...    

"Il avait allumé un autre feu. Il était à genoux près de la femme. Elle paraissait morte, blanche comme du gel et sans un souffle. Entre ses jambes écartées elle avait un gros paquet fait avec la veste de Matelot.
- Où est-il ? dit la femme.
- Je l'ai plié dans ma veste, dit Matelot. Coupe le cordon seulement ; ça a été plus fort que moi.
- Elle est morte? demanda Antonio.
- Non.
- Donne-lui de l'eau-de-vie, dit la femme.
Elle écarta les pans de la veste.
- Le voilà l'artiste, dit-elle.
L'enfant tout sale haletait doucement. Sa petite bouche se tordait en silence. Il tenait encore à sa mère.
- Donne ton couteau.
Elle coupa le cordon et elle fit un nœud.

 - Et qu'est-ce que tu te crois d'être (elle parlait à l'enfant). Parce que tu arrives dans la forêt tu gueules pas comme les autres. Ouvre-la cette bouche, ouvre-la (elle le secouait), pleure mon gars.
L'enfant se mit à crier."   
pages 43-44

Jean GIONO
"Le chant du monde"

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